Je ne sais pas

Dans la classe, le silence. Seul le tic-tac de l’horloge prouve que le temps passe. Les stylos courent et remplissent le papier blanc. Les réflexions se transforment en mots, les mots en phrases, les phrases en textes, les textes en réponses, les réponses répondent aux questions, les questions exercent notre mémoire et prouvent que l’on sait. Mais savoir quoi ? Quand on ne sait pas, c’est toute cette suite logique qui s’effondre. Et moi je suis effondrée. Le temps passe et moi je ne sais pas. Le temps passe et le stylo ne court pas. Ça doit être évident pourtant. Les réponses restent informulables. Les réponses restent là où elles sont, dans mon inconscient, indétectables, invisibles. Et moi je les cherche. Depuis longtemps d’ailleurs. Impossible. Je n’y arriverai jamais. Pourtant je savais qu’il aurait fallu apprendre au lieu de paresser. Et comme d’habitude je ne me suis pas écoutée. Je me sens misérable. Tout est de ma faute. La personne qu’il faut blâmer, c’est moi, moi et moi seule. Bon. Ça suffit. J’y arriverai, il le faut. Enfin je vais essayer. Et me voilà en bas de la pente. Si seulement j’étais quelqu’un d’autre. Si j’étais plus intelligente, plus forte. Non il ne faut pas penser à autre chose. On relit… qu’est-ce que cela veut dire… je ne comprends rien… tiens un mot connu… J’ai un vague souvenir de ce à quoi il fait allusion. Bon mettons qu’il faut qu’on parle de ça, que demande la question ? Il n’y a plus que la copie et moi, je ne peux pas redescendre plus bas. C’est tout ou rien. J’empoigne une arme d’une main ferme. L’arme est émoussée. Maintenant un Minotaure, un monstre, un dragon, une bête sauvage face à moi. Bon j’y vais. Je sors l’épée de son fourreau et je sors la mine de mon stylo. Question 1. Une bête difforme sort du rang. Je ne comprends pas la question. La créature se jette sur moi et me plante ses dents. Je comprends un mot, je me dégage de sa mâchoire. J’écris une lettre puis un mot, je m’avance et j’entaille sa peau. Je le fais au talent. Mon épée danse à la même cadence que mon stylo. Un point, du sang coule le long de son poitrail. Elle est épuisée mais ce n’est pas fini. Elle se lance, mais je reprends la chorégraphie. Éviter, contre-attaquer, parer, attaquer. Virgule, majuscule, entre parenthèses, adjectif. Le combat dure et le temps passe, il faut que je passe à la suivante. Le dernier coup. Et le monstre s’effondre. Question suivante même combat. Plus les monstres défilent devant moi plus ils sont gros. Ma mémoire se vide, je donne ce que je sais, et le sol devient du sable qui lui-même se transforme en boue collante. Je peine à répondre. Je peine à agiter mon épée. Question suivante. Je ne sais pas. Je passe. Quand tout à coup, le sol redevient dur. J’arrive à apercevoir la feuille lointaine de ma voisine. Non il ne faut pas. Si l’on me voit, si l’on s’aperçoit de la terre ferme sous mes pieds je risque de perdre le combat. Je me reconcentre sur ma copie et la terre me monte aux chevilles. Question suivante. Vite l’horloge ne va pas m’attendre. Attaquer, tic tac, parer, je coule, question suivante ! Même refrain. Bientôt. Tic, pronom, tac, parade, vite ! Dernière question. C’est le dernier, il possède une carapace épaisse munie d’épines, des tentacules aiguisées, des pinces tranchantes, des dents d’acier, du venin mortel, des yeux immenses. Face à ce roi des monstres, cette bête affreuse, hideuse, gigantesque, puissante, il y a moi. Traînant dans la boue, la lame émoussée, le corps ruisselant des combats précédents. Le combat final. Je m’élance, elle mugit et fonce vers moi. C’est la collision. Un coup, deux coups. Le sang danse, trois coups, quatre coups ! Ma lame se brise. Je vais mourir mais je n’abandonne pas. Le clairon de la fin sonne dans mes oreilles. Je vais le finir. Soudain, un effondrement. Je pose mon stylo. C’est fini.

 

Novembre 2018

6 réflexions au sujet de « Je ne sais pas »

  1. Comme à ton habitude tu écris des textes qui a la fois touchent et portent à la réflexion, ici l’a comparaison entre une heure de cours/un examen et un combat me fait sourire car elle est diablement vraie, que ce soit le blanc total et infernal nous emplissant de désespoir où l’on cherche frénétiquement une information, une connaissance à laquelle se rattacher …qu’il arrive à certains d’avoir (dont moi je l´avoue), que ce soit le temps avant la fin de l’heure semblable au temps qu’il nous reste à survivre à cette bataille sans fin, tout cela me parle, me touche, m’interpelle car c’est personnellement comme ça que je vois les études (et la vie également mais bref), un combat sans fin ou même lorsque tu tout semble perdu la détermination, l’obstination et l’espoir permettront de changer quelque chose, ou en tout cas dans le cadre de ton texte permettront de survivre.
    Je ne sais pas si je me suis correctement exprimé et si tu as tout compris ayant été emporté par un élan d’inspiration aussi je vais essayer de faire un résumé plus concis :

    Un blanc, un oubli total, la perte du fil du cours/examen est souvent synonyme de désespoir, d’échec et parfois de souffrance, mais c’est en persévérant que l’on remonte ce désespoir, que l’on se saisit des informations manquantes et que l’on progresse, ainsi tout comme la plupart de tes textes celui ci nous donne une…. « Leçon » de vie, en effet sans persévérance on arrive à rien, Amour, Amitié et Travail sont soumis à cette règle, aussi par ton texte tu nous montre un exemple de combat de la vie où tout semble perdu mais où la persévérance nous amène à la victoire, je ne sais point si tel était le but mais ce texte me touche beaucoup et je prends du plaisir à le lire et à l’interpréter comme un appel à la persévérance

    Petit mot de la fin : comme d’habitude toi et tes textes sont géniaux, j’envie ta créativité car faire un tel texte avec aisance nécessite (selon moi) une inspiration qui j’en suis sûr te portera loin !
    En tout cas c’est toujours un grand plaisir de lire un nouveau texte de ta part car bien souvent je lis des textes pour le plaisir, des textes fantastiques et irréalistes où je n’ai pas à me poser tant de questions, hors ici textes me poussent toujours à réfléchir tout d’abord sur ton point de vue mais aussi sur le mien et me permet de mieux te connaître tout en vérifiant ou apprenant beaucoup de choses sur moi même
    Un grand merci pour ce texte 😁

    1. Ton commentaire fait la même taille que le texte (voir plus) et j’ai compris ce que tu as dit. Je suis touchée que tu le lises avec autant d’attention et que tu écrives un véritable commentaire dessus. Merci!

  2. C’est beau, c’est épique, et ça vibre ! Bravo Marianne, quel talent… un nombre raisonnable de fautes d’orthographe compte tenu du niveau actuel des jeunes Français, pas de fautes de syntaxe ni de construction, sauf que la dernière bête on aimerait bien savoir si tu l’as tuée elle aussi juste avant la fin. Continue, preuse chevalière !

  3. Tu m’as pourfendu…j’ai été surpris, séduit, jaloux de ne pas avoir imaginé cette belle allégorie…je la prends, je la garde et la répand. Je suis heureux de lire des mots comme cela, ceux que tu sais faire surgir de l’obstacle pour en faire un tremplin… respect et jalousie affectueuse.Philippe

  4. Bravo Marianne. Dans l’asdversité face à un système qui n’est pas fait pour tous tu te révèles être une véritable écrivaine. Tu pourfend l’obstable en faisant jaillir tes qualités profondes. Je ne peut qe t’encourager à poursuivre dans cette voie de l’ecriture. Elle agrège ton talent et ta créativité. Et tu ne peux imaginer comme ton texte me parle et raisonne dans mes souvenirs. Mais je n’avais pas ce talent pour coucher aussi brillamment ces pensées intimes sur du papier. Bravo, bravo, bravo !!!

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