Les mains noires et de pastel

Chapitre 1

Le soleil frappait de ses rayons Paris. La vieille capitale pourrissait sous cette chaleur assommante, les vapeurs des automobiles stagnaient entre les parois des immeubles gris, la végétation roussissait sous l’incendie de cette saison et rendait l’atmosphère lourde. Les cafés abondaient de monde, souvent irrespirables à cause de la fumée des cigarettes qu’aucune brise ne venait chasser, les pavés bouillonnants donnaient à l’ombre une importance capitale à tout promeneur, la terre déjà sèche se craquelait sous les pas rapides de quelques hommes affairés, les rues étaient désertes et les grands boulevards inoccupés. 

L’été rendait Paris infernal. 

Les cris lointains du Luxembourg résonnaient par un chaud après-midi dans les rues qui bordaient le grand jardin déjà desséché par la saison. Sur les terrasses des restaurants, les gens s’assoupissaient, repus par un déjeuner abondant et lourd. Un trou sur une façade de pierre espérait capturer la brise, le trou attendait la gueule grande ouverte, il attendait inlassablement le zéphyr qui réveillerait sûrement le monde assoupi par la chaleur, qui ferait envoler toutes les poussières qui avaient depuis longtemps déjà recouvert les sols et les plafonds. Ce trou, cette ouverture, cette fenêtre attendaient mais rien ne vint déranger le calme de la fournaise mis à part une mélodie qui sortait de cet antre et résonnait entre les vieux bâtiments. C’était une douce sonorité, qui apaisait les brûlures du soleil, qui endormait le peuple digestif d’après déjeuner, c’était une berceuse endormant toutes les oreilles qui l’écoutaient. Qu’il faisait bon de l’entendre, la canicule ne devenait que plus douce et appréciable. Cette musique donnait à sa provenance une image utopique où le présent serait idéal.

Soudain, elle s’arrêta. Il fallut alors se réveiller, et reprendre conscience de la sécheresse tyrannique, insupportable sécheresse qui, elle, restait toujours présente. 

Éphémère symphonie, courte mélodie, dont toi seule pouvait valser avec la flamme cruelle, qui, par audace, aurait pu t’arrêter ?

Pourtant l’ouverture dont tu provenais, sa bouche toujours béante, n’aurait pas pu te stopper soudainement.

La réalité trop longtemps ignorée l’avais éteinte, l’avait rendue muette. Le silence brûlant avait repris sa place de maître. Plus rien, plus personne n’osait plus le contredire, de peur qu’il ne lui fasse subir le même sort qu’à cette fantaisie qui l’avait autrefois troublé.

Une brave porte claqua, puis un pas résonna, les semelles crissant sur le bitume chaud. Ce furent les seuls et uniques bruits, révolutionnaires contre cette dictature muette.

Ces semelles qui donnaient la cadence, étaient dirigées par de longues et fines jambes, musclées, recouvertes par une épaisse jupe de la couleur du ciel. Elles marchaient, savaient où elles allaient, lassées par l’entourage trop habituel, elles marchaient d’un pas conquérant. Ces deux piliers mouvants étaient dirigés par un seul et unique cerveau, caché par une masse capillaire de boucles brunes qui se balançaient au gré des pas saccadés. La musique, qui auparavant embellissait le paysage de Paris sous la chaleur, avait été remplacée par une agréable jeune fille, où ses cheveux bruns roussissaient sous le soleil flamboyant. Ce fut une marche monotone jusqu’à l’église Saint-Sulpice, parfois interrompue par les discussions des cafés ou par les cris des commerçants. Devant ce monument, les pas s’arrêtèrent, décidés à y entrer. À l’intérieur, la froideur religieuse rafraîchissait la peau déjà marquée et l’ombre bénigne ne rendait l’endroit qu’encore plus mystérieux.

Elle s’assit. Là, sur une chaise, attendant le commencement de l’office ecclésiastique, insouciante du futur qui à chaque seconde la frôlait sans pour autant l’atteindre, ce futur indécis, flou, hypothétique, qui lui réservait le meilleur comme le pire, qui ne se déciderait que par les choix et les actions qu’elle aurait faits. Un homme seul pouvait basculer une vie entière et même le monde entier dans le chaos comme dans le calme. Un homme, le pas lent, entra. Il s’assit sur la rangée avoisinant celle de cette femme pensive. Ce ne fut pas un homme qui chamboula la vie de cette femme, mais un regard. Un regard vif, perçant, pénétrant, intense et précis. Un regard qui pouvait unir deux êtres, l’un et l’autre dans un seul et même destin, un regard qui ne disait rien mais qui signifiait tout. L’homme se leva de nouveau et franchit l’allée qui séparait ces deux corps marqués d’un fer rouge par un sentiment qui vaincrait sans doute toute barrière, toute opposition à ce désir que nul ne pouvait contrôler. À peine eurent-ils prononcé un bonjour de politesse que l’orgue se mit à souffler de ses poumons de bête, tel le tonnerre grondant, l’écho de l’église augmentant ce cri, ce mugissement d’animal. Cela dura toute l’heure entière, et même plus. Aucunes paroles ne furent dites, mise à part celle d’un homme dont la vieillesse était prononcée par ses cheveux blancs. Après le final, le peuple béni dut retourner dans l’infernale moiteur qui occupait Paris.

Cependant cet homme et cette femme restèrent. Immobiles, muets, inertes. Le soleil traçait sa route et bientôt il colorait le ciel d’un pourpre orangé, il l’embrasait comme un dernier salut final, un adieu, une promesse de retour prochain. Une cloche lointaine ou l’écho d’un pas les réveillèrent de leur long somme éveillé. Que fallait-il faire ? Que fallait-il espérer ? Que fallait-il penser ? L’homme d’une haute voix: 

– Paris s’éveille.

La femme, troublée par ces quelques mots, acquiesça brièvement, trop effrayée par l’ampleur du silence qui les avait pendant tout ce temps entourés.

– Paris s’éveille. J’aurais pu dire bien des choses. L’étendue de la langue française était à mes pieds, s’offrant à moi et à ma bouche, mais capricieux, je ne prononçai que deux mots simples d’une banalité affligeante. Paris s’éveille. C’est un fait, c’est une évidence. Me voilà coupable, coupable d’avoir brisé ce silence, coupable, cette transe parfaite, disparue, qui nous maintenait, vous et moi dans cet espace vide et pourtant confortable. Je suis coupable et me défend pourtant, je continue à parler pour ne rien dire. Je me tais avant que mon cas ne s’empire.

– De quoi vous accuse-t-on ? Paris s’éveille. Nous voilà maintenant tous les deux dans la même situation.

– Nous voilà tous les deux, assis sur des bancs, des bancs de bois dur, à attendre notre condamnation. Que faut-il imaginer, la pendaison ou simplement la prison ?

– Ni l’un ni l’autre car les juges sont aveugles et nous imaginent. Nous, nous nous levons sans qu’aucun bruit ne nous dénonce et nous partons.

– Simplement ?

– Tout simplement car je n’ai pas peur de ces hommes-là, de ces sophistes benêts. Et puis si par miracle, si un bruit venait à nous trahir, il suffirait tout juste de partir.

– Votre courage m’impressionne et me rend miséreux.

– Allons reprenez-vous. Le courage ne vient que si on lui demande.

– Tout cela vous semble si facile.

– Aucune leçon ne vient si l’on ne l’apprend pas.

– Et pourtant me voilà, l’Éternel idiot que je suis. Je suis sot, Madame, je le déclare et le confesse.

– La sortie de cet endroit vous aidera peut-être, j’ai entendu dire que le savoir ne croyait pas.

– Ces pierres d’évangile et ce vent de dévotion ne me font que plus acquiescer votre proposition.

– Sortons.

L’homme et la femme se levèrent et remontèrent l’allée de bancs. Seuls leurs pas brisaient le calme. D’une cadence rapide ils se retrouvèrent à la fraîcheur du crépuscule et partout on entendait le monde trop longtemps endormi s’agiter.

Paris s’était éveillé.

Chapitre 2 

Un homme était a à son bureau, les bras croisés, sa tête contre le bois. Les lumières autour de lui s’éteignaient petit à petit. La nuit suivait le crépuscule et le noir ne se faisait plus attendre. L’homme dormait d’un sommeil profond. Il arborait une fière moustache, roussie par le tabac, écrasée contre sa tête, son nez et la surface plate de sa table. La porte fermée par habitude et la fenêtre grande ouverte par la sécheresse du chapitre dernier. 

Soudain un sursaut, l’homme s’était éveillé. Un coup d’œil a sa montre, quelques jurons, une course pour se parer, une débandade dans l’escalier, le voilà déjà dehors. La rue était calme et déserte. Au loin on entendait la foule jouir de cette liberté, ; enfermés par le soleil d’aujourd’hui, les gens n’avaient plus peur de sortir, le monde s’animait enfin. 

Cependant cela n’avait pas d’importance aux yeux de cet homme, qui de son regard fatigué, cherchait désespérément un taxi. 

Trouver! Vite rue de Médicis !

Ballotté par les pavés inégaux, l’homme à la moustache remit de l’ordre à ses cheveux et ses habits froissés par la sieste et le réveil brutal.

Le trajet était long depuis la rue de Bassano. Il prit tout son temps pour réaccorder sa cravate, relacer ses chaussures, refermer ses boutons de manchette et regarder d’un air plein de mépris le peuple qui sortait. Le voilà arrivé. Il monta les marches quatre à quatre et arriva au deuxième étage. De son souffle haletant il toqua à la porte.

Le silence. Le temps suspendu attendait la réponse à ses quelques coups. Il n’y avait que l’écho parisien qui troublait ce lourd suspens silencieux. Rien. L’homme retoqua.

S’était-elle assoupie comme lui ? Le temps était trop long et il décida d’attendre sur les quelques marches de l’escalier.

Était-elle sortie ? L’avait-elle oublié ? S’était-elle endormie ? 

Ces questions restaient sans réponse. 

Dans une maison voisine un téléphone sonna et des pas arrêtèrent le bruit aigu de l’appareil. Le monde vivait et lui il attendait.

Un rire réveilla l’homme avachi dans les escaliers, un simple rire ranima le corps.

Il se leva d’un bond, effrayant la poussière du sol qui s’était déposée par l’attente.

C’était elle, son rire reconnaissable parmi toutes.

S’époussetant, se recoiffant il attendait que ce rire et que ces pas qui avaient entrepris la montée des escaliers le rejoignent. 

Soudain une autre voix, une voix grave se fit entendre, accompagnant cette légèreté, l’alourdissant. 

Qui était avec elle ? Se méprenait-il sur le visage qu’il avait donné a cette voix ? 

Il s’adossa au mur d’un oeil attentif veillant à ne pas avoir l’air miséreux. Le dernier pas final confirma cependant que c’était bien elle et qu’elle était accompagnée. Les yeux perdus par l’inconnu, il souria poliment et brisa la gène qui s’était installée par la rencontre fâcheuse d’un petit toussotement.

Ce couple surpris par sa présence marqua un arrêt à la dernière marche de leur assomption.

Le souffle plus calme par leur pause, la jeune fille d’un regard certain, adressa à l’homme déjà présent un bonjour de politesse qu’il lui rendit par une inclinaison légère de sa tête et de son buste.

– Pardonnez-moi madame mais je ne m’attendais pas à votre retard ni à vous voir accompagnée. J’espère que ma présence dans vos escaliers ne va pas attirer de représailles de la part de vos voisins.

– Ne vous inquiétez point, et c’est a vous que je me dois de demander pardon pour mon retard. 

– Il est naturel comme tout bon chrétien de séjourner un peu plus dans la maison du seigneur, vous étiez a l’église je suppose ? 

– Effectivement, nous sommes dimanche.

– Et je comprendrais tout à fait que le soleil hargneux d’aujourd’hui ne vous ait fait rester un peu plus dans l’ombre divine. 

– Votre compréhension est juste, cette chaleur harassante nous brulerait tous. 

– Par ailleurs, je vous vois maintenant accompagné et je ne peux douter que la présence nouvelle de cet individu ne vous ait retardée, je veux dire par là que les discussions ne pouvaient être que nouvelles. 

– Exactement, j’ai rencontré Monsieur que voilà à la messe et je me suis alors fortement intéressée a ce personnage nouveau, comprenant que mon devoir était à l’explication des mœurs et des habitudes de la vie au sein de notre église, explications ma foi bien longues.

– Je comprends tout à fait et il en aurait été de même pour mon cas, j’aurais également offert mon soutien s’il avait été nécessaire à une nouvelle personnalité dans un endroit familier. 

– Nous voilà satisfaits, cependant, j’ai invité monsieur à prendre le thé. Sachant que votre présence ici était également à désirer, je me suis alors dit que au moins la discussion ne pouvait être que plus attrayante.

– Et je ne fais qu’approuver votre choix.

– Bien messieurs dans ce cas , entrons.

La femme munie de sa clé suivie par l’homme muet et par l’homme venu de loin entrèrent dans son petit appartement. 

Chapitre 3

L’atmosphère était plutôt gênante. On entendait le silence presque palpable s’installer entre les trois personnages, qui avaient pris place autour d’une table au dessus de laquelle l’eau chaude fumait encore. Elle priait le ciel pour que chacun reparte et que cette situation se termine. Cependant sur leurs visages se lisait la détermination de demeurer ici jusqu’à ce que l’autre s’en aille. Après un temps, qu’elle avait ressenti comme des heures, elle essaya de chasser cette ambiance pesante, par quelques questions sur la société actuelle et son entourage politique. On lui répondit brièvement de telle manière qu’elle ne put relancer la conversation. Le tic tac de l’horloge rythmait cette scène silencieuse, ils la regardèrent, puis se regardèrent, et jouèrent à ce jeu de regard, jusqu’à ce que, par la plus grande frayeur, l’horloge donne l’heure.

« – L’heure commence à tarder. Je pense qu’il serait judicieux que vous vous en alliez, messieurs. 

– Pardonnez moi, madame, mais tout à l’heure vous me parliez de philosophie et vous m’avez promis de me prêter quelque uns de vos livres, dans le but d’y voir plus clair au sujet de certains concepts.

– Qu’en est il de l’auteur ?

– Platon si je me souviens bien.

– J’ai lu. Intéressant je vous l’accorde mais complètement démodé 

– Et quels sont vos arguments ?

– Et bien, tout simplement que pour ma part, qui ne suis que relativiste, je ne pense pas que la caverne existe, ni même le feu, ni même le soleil, ni même les gens, ni même les chaînes. Ou plutôt il n’y aurait pas qu’une seule source de lumière, il y en aurait plusieurs, des milliers, pour chaque être humain. Chacun a sa propre philosophie, croit en ce qu’il veut, voit ce qu’il veut voir. Un être n’est pas l’humanité, un être est un être, seul dans ses choix. 

– Mon cher ami, sachez que je n’ai jamais été d’accord avec vous, cependant ne ravivons pas nos vieilles querelles d’époque. Si c’est en cela que vous croyez, hé bien qu’il en soit ainsi. 

– Ah, je me souviens, de nos longs débats près du fleuve, qui se finissaient toujours à l’eau, les bottes et les habits gorgés d’eau boueuse. 

– Quel joyeux souvenir, et le lendemain nous ne pouvions sortir, par le froid que nous avions attrappé

– …Nous restions au chaud sous les couvertures…

– Somnolant notre mal.

– …Avec de bonne bouillotte…

– Transpirant dans nos chemises de nuits. »

Une courte pause, puis il reprit 

« – Mon ami, si j’étais vous, je ne lirais pas ces vieux bouquins, écrasés par la poussière, non, lisez quelque chose de neuf, de moderne, lisez l’actuel !

Je pense que je saurais vous conseiller sur ce sujet.

– Merci monsieur, je vous en suis reconnaissant.

– Ah, il n’y a pas de quoi, sur ce, un long chemin m’attend, madame je vous laisse. Peut être que je pourrais raccompagner votre ami?

– Je doute que vous viviez là où j’habite et puis d’ailleurs, le chemin ne sera pas long, contrairement au vôtre. Une balade nocturne ravira mon corps exténué par aujourd’hui. 

– Laissez moi au moins vous raccompagner jusqu’à la porte.

– Mon cher, j’ai promis à mon ami de lui prêter quelque lecture, et vous semblez pressé d’accomplir votre long retour. Je vous remercie de votre âme charitable dans le but de l’aider mais je pense qu’il ne pourrait se perdre.

– Et pourtant Paris est si grand.

– Et le monde est énorme. Je vous remercie d’être passé, cela m’a fait plaisir.

– Bon…eh bien, il n’y a pas de quoi. Êtes vous sur de ne pas vouloir bénéficier de mon aide?

– Je doute qu’à une heure si tardive l’on puisse se faire quelque chose.

– Je vous dis alors au revoir ma chère, et saluez le monde pour moi. »

L’homme prenant son manteau léger, accordé à la saison, jeta un dernier regard sur la pièce et la scène, puis s’en alla, abattu, vaincu par le dialogue, les méninges vrombissantes. 

L’homme et la femme se retrouvèrent seuls.

Ils étaient seuls.

L’atmosphère, complètement différente de la précédente était électrique. Le silence n’était plus pesant, mais piquant. Ils se regardaient yeux dans les yeux, le souffle nerveux, debout par le départ de l’autre. Ils attendaient, perdus, à se regarder pendant des nuits, ils attendaient un signal, le signal. 

Un verre lointain se brisa et ils se jetèrent l’un sur l’autre. 

Leurs lèvres se touchaient enfin, leurs souffles se répercutant entre les parois de leurs visages. Leurs mains enlacées les unes dans les autres, ne formaient plus qu’une boule de doigts.

Que devait-elle ressentir ?

Comment cette passion ardente devait-elle se prononcer ?

Elle ne le sut jamais. Son cœur battait à nouveau à un rythme régulier, ses frissons absents et ses papillons partis. Et pourtant elle voulait, aimer. Elle voulait que cela soit unique, qu’il y ait une explosion intense de passion, de sentiments qui l’a bouleverserait, elle voulait ressentir l’amour comme on le lui avait décrit, elle voulait vouloir le posséder, agripper sa peau comme si c’était la sienne, que ses cheveux deviennent siens, que son cœur défaille transpercé par le moment, elle le voulait, mais ne ressentait rien. Rien à part de l’inconfort, un peu de dégoût aussi, contre ces lèvres qu’elle croyait douces. Elle était bouleversée, bouleversée par ce moment, qu’on lui avait dit incomparable, mais qui se retrouvait être bien plus qu’un geste gênant, perçant les limites de l’intimité. Elle sentit avec horreur les mains de l’homme, descendre, se poser sur sa taille et pourtant elle ne savait que faire bloquée par une force intérieure qui la vidait de tout.

Avait-elle peur de le blesser par le rejet ?

Toute sa vie, toute sa vie on lui avait décrit ce moment fatal ou plus rien n’existait, qu’à part ce lien invisible qui reliait un homme et une femme.

Et pourtant, elle garda les pieds sur son parquet, les yeux fermés, respirant l’odeur, son odeur d’homme. 

Ce dernier décolla ses lèvres avec un horrible bruit, qui résonna dans toute la pièce et dans tout Paris lui sembla-t-elle. Il lui sourit. Lui, avait les joues rouges, le regard perdu, lointain, parmi les étoiles qui se levaient à la fenêtre, le souffle haletant. 

Tant d’ardeur pour si peu de temps. Elle lui rendit son sourire, espérant que cet amour qui l’avait trahi viendrait, en retard. Il s’approcha un peu plus et posa cette fois-ci ses lèvres sur son cou. Elle leva les yeux priant pour que cela cesse. Cependant dans son état l’homme n’avait pas l’air d’être prêt à s’arrêter de l’aimer. Il embrassa son cou, sa joue, son front, son menton, son nez, et aboutit cette ronde de baisers par sa bouche.

Elle ne savait que faire, prisonnière comme une statue, espérant que le pire ne se produirait pas.

Elle s’était trompée, trompée de sentiments, trompée de destin, trompée de marque. Son regard qu’elle avait reçu lors de la rencontre, ce regard unique qui lui avait été fatal, n’était plus. Cette attirance, qu’elle avait ressentie à l’égard de cet homme, avait disparu.

Était ce à cause de la chaleur qu’elle avait voulu l’aimer, à cause du certain charme qu’il dégageait ? 

Était-ce par la lassitude actuelle de sa vie, qu’ inconsciemment elle s’était trompée à l’aimer?

Pouvait elle aimer au moins ?

Resterait elle à jamais, un être dénué de sentiments, de passion ? 

Toutes ses pensées se rajoutèrent à son bouleversement et quelques larmes lui coulèrent des yeux, larmes qui s’échouèrent en bas. 

Elle voulait fuir, loin de cet homme, loin d’elle-même, loin de son corps, loin de son étreinte, loin de cette pièce, loin de cette maison, loin de cette ville, loin de cette saison, loin de tout. Elle voulait fuir cet homme qui l’aimait mais qu’elle n’aimait pas.

Chapitre 4 

Le soleil sur sa peau la brûlait. Mais elle ne s’en souciait pas. Il était finalement parti. Elle n’avait pas su le repousser. Dans sa robe de chambre légère elle regardait le dehors. Les feuilles jaunissaient et bientôt les arbres se transformeraient en squelettes fourchus de branches nues. Au fond d’elle, elle se sentait arbre. Elle était en train de mourir. Son esprit, toute sa raison mourait, tuée par le moment d’hier. elle n’avait pas dormi. Elle se sentait arbre. Les arbres ne ressentaient pas, comme elle avec ces baisers, comme elle avec cet homme. Désormais elle ne savait pas comment ressentir, elle ne savait pas aimer, elle ne savait pas si un jour, peut-être, elle aimerait. Elle ne savait pas, comme les arbres, comme les platanes et les marronniers du jardin du Luxembourg. Elle n’avait pas dormi, mais cette absence de sommeil ne l’a dérangeait pas. Elle n’avait pas les yeux qui piquaient ou la tête qui l’a martelait. Voilà des heures qu’elle était figée, hypnotisée par une chose invisible, à repenser, jouer par les spectres de son esprit, la scène d’hier, seule, comme elle l’avait été après le départ de l’homme, seule, comme elle l’avait été cette nuit. Il ne s’était rien passé, ou du moins il ne s’était rien passé d’obscène, mis à part les baisers et la passion qu’il lui avait donnés, qu’il l ‘avait recouverte, qui l’avait noyée, étouffée, pénétrée, violée, sans pour autant l’atteindre. Puis il s’en était allé, le pas titubant, le regard doux, fou par tant d’amour qu’elle avait su lui mentir, il lui avait promis de l’aimer, et lui avait donné rendez-vous au lendemain, aujourd’hui. Elle ne voulait pas. Elle voulait retourner dans son cocon dans son cocon créé d’illusions de certitudes au sujet de l’amour. Elle voulait revenir au moment où elle savait qu’elle pourrait aimer, revenir au moment où elle savait qu’elle pourrait ressentir, l’amour, elle voulait mais ne pouvait plus. A présent, elle devait se redécouvrir, apprendre son nouveau visage, se construire son chemin de cendres, brûlé par la destruction de ses illusions, brûlé par la réalité, triste, qui avait fait d’elle une personne plus pauvre de passion que le plus miséreux. À présent elle devait enfiler son nouveau costume, son nouveau manteau, sa nouvelle image, construit par un fil d’alexithymie.

Était-ce un fatalisme de se condamner dans son incapacité à sentir ou était-ce simplement la dure réalité ?

Quelqu’un riait. Au-dessus ou en dessous, se rire résonna jusqu’à ses oreilles et la surprit. Hier encore elle savait rire. Hier encore elle pouvait sourire. Hier encore elle aurait pu accompagner ce bruit de joie. Hier était passé. Pauvre de toutes passions, perturbée par cette absence, elle alla tout de même se vêtir, s’apprêter, espérant le réveil de ce cauchemar morne et pourtant actuel. Elle ne s’habilla pas de ses plus beaux vêtements, elle choisit des couleurs ternes, simples, des vêtements encadrant son moral et ses humeurs du jour. Elle ne mangea pas, repue par de la nourriture invisible, qui l’avait nourrie, occupant son estomac vide, et elle passa sa matinée à son bureau, les yeux d’incompréhension posés sur ses feuilles blanches. Midi sonna et il lui fallut partir. Dehors, toujours aussi chaud, n’écrasa pourtant pas ses sombres pensées. Elle fut à l’heure, attendant sur une petite table ne pouvant accueillir que deux personnes. Elle attendit longtemps lui sembla-t-elle, elle n’avait pas la notion du temps ne prêtant pas attention aux alentours cependant nouveaux.

(à suivre)

Juillet 2019 à novembre 2020

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