Le Général de fer

Au milieu de la place principale, trônait est un grand et imposant monument. Il avait été installé là pour célébrer un des nombreux héros morts au combat ; il avait subi plusieurs générations et une petite mousse verte commençait à le recouvrir. Je le regardais souvent, ce général de bronze sur son grand cheval de métal à l’allure fière, et par moment je me demandais ce que ce monument au fil des ans pouvait bien penser. Quand je laissais courir mon imagination, je lui donnais la vie et je m’imaginais ce qu’il pouvait se dire.

“Les hommes : étranges créatures sur deux pattes, à la fois créateurs et destructeurs, pourvus de capacité crânienne. Ah, moi je vous le dis, il faut se méfier de ces étranges personnages, j’ai vu ce qu’ils savaient faire : la guerre, la désolation, la famine. Ne le niez pas, petits êtres humains, je l’ai vu lors du siècle dernier, car moi je vois tout et je me souviens de tout. Lors de ma construction, les monstres puants sur lesquels vous vous déplacez n’existaient même pas. Et c’est seulement après quelques années que le rugissement soudain de l’un d’eux a brisé le calme et le silence de la ville. J’ai été général, vous savez, j’ai sauvé le pays maintes fois et tout ce que je mérite c’est de rester là, figé, à me casser les reins sur ce canasson immobile ! Est-ce comme cela que l’on traite les héros ? L’homme est décidément bien étrange. Et puis je me fais vieux. J’ai pu constater que les hommes âgés mourraient. Et moi pourtant je ne meurs pas. Je reste là à regarder le va-et-vient étrange des petits bonshommes. Que font-ils lorsque tout est noir ? Que font-ils lorsque le soleil pleure ? Et puis pourquoi les humains de petites tailles s’enferment dans un bâtiment ? Tout cela n’est pas net. Si je pouvais au moins bouger, je mènerais une enquête afin de les dénoncer. Pfff ! Je m’ennuie. D’ailleurs, pourquoi suis-je là ? Voilà plus de cent ans que je me pose la question. Suis-je là pour garder la ville ou la défendre ? Dans ce cas je devrais pouvoir bouger. Pourquoi me regarde-t-on ? Je n’ai rien fait, commis aucun crime. Un jour une famille qui habitait juste en face de moi est partie quelques temps puis ils sont revenus. Mais ils étaient différents, ils avaient bruni et étaient plus reposés. J’aimerais aller là-bas, là où ils sont allés. Me reposer tranquillement afin de goûter au doux rayon mielleux du soleil, loin de ce cheval et de ces douleurs de dos, loin de cette ville bruyante. Mais si je m’en vais, on va me remplacer. Je n’aurai plus d’endroit où siéger durant les siècles à venir. Finalement je reste là. Jamais je ne laisserai ma place un novice. Jamais ! J’ai hâte de voir le futur. Bien qu’il me fasse un peu peur. Mais ma place, en tant que général, et surtout ma mission que l’on m’a confiée, c’est de rester là sur ce cheval. Et sous aucun cas je ne faillirai.”

 Je n’avais pas le temps d’imaginer plus. Mon père m’attrapait par la manche afin de me dépêcher. J’avais de la peine pour cette statue. Toujours immobile, toujours le regard figé, sur son cheval de métal. Le maire avait fait voter la construction d’un centre pour jeunesse à la place de cette statue. Les travaux commenceraient cet été. Ma grand-mère me racontait souvent des histoires sur ce général héros du village. Ah ! quel valeureux Général !

Janvier 2019

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