1945

Ça y est, c’est fini. De moi, de la guerre, peu m’importe. Je ne sourirai plus, que je sois libre ou enfermée. Je ne ressentirai plus, que je sois morte ou enterrée. L’être est guidé par la raison et par les sentiments. Je n’ai plus rien de tout cela. J’aimais. Est-ce un crime ? Avons-nous réellement le choix d’aimer ? Des gens me diront que oui, mais ces gens-là ne fréquentent que le bordel. J’aimais, mais je n’aimerai plus. La guerre m’a tout pris. Tout. Mes amis, ma famille, ma liberté, il a réduit mon cœur à la taille du rien. Je ne sens plus. Plus je pense, plus je vide mon verre. Et plus mon verre est vide plus cette scène repasse dans ma tête. Il faisait beau pour un mois de mars. Paris était électrique, ce n’était plus qu’une question de temps. Les ennemis étaient faibles, et nous forts. Cela ne les a pas pourtant empêchés de tuer ma seconde personnalité, ma moitié. On s’aimait en cachette, à l’abri de tous ces putains de salauds du Reich mais notre planque a été découverte et puis ils l’ont emmenée, cette personne que j’idolâtrais. Je n’ai rien pu faire. Je l’ai vue se faire embarquer, j’ai couru derrière le camion. On est arrivé devant la préfecture de police, celle que je connaissais si bien, puis ils l’ont emmenée dans une cour à l’extérieur. Je suis montée sur un petit muret qui me donnait une bonne vision. Elle était là, la personne que je chérissais tant. Au milieu de la cour, les yeux bandés. Et puis ces fils de putes l’ont abattue vite fait, sans remord, sans jugement, sans prendre le temps. Car eux, ils n’ont pas le temps. Ils vont perdre la guerre et exterminer tout ce qu’ils peuvent avant de prendre la fuite en accusant Hitler de les avoir manipulés, les yeux baignants de larmes. Mais moi je ne serai pas dupe. Quand la guerre sera finie, quand les alliés seront là, je prendrai mon fusil, j’alignerai tous ces chiens qui l’ont tuée et sans aucun remords, je leur ferai payer. Puis ils seront jetés dans la Seine, bouffés par les eaux et les poissons, car ils n’auront que ce qu’ils méritent. Après vengeance faite, je partirai loin. Là où nous avons toujours voulu aller, loin des regards, loin des souvenirs, loin de Paris. J’irai là-bas t’enterrer, te dire au revoir une dernière fois, avant que moi aussi je ne m’endorme. Je t’aimais tant, je t’aurais aimé jusqu’à ce que mon cœur inépuisable n’en puisse plus.

Nous étions si bien toutes les deux.

Janvier 2019

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *